Jean Ferrat : le poète avait toujours raison

Publié le par jack palmer

Dans son édition de lundi, l’Humanité rend un hommage spécial à ce géant et à un ami vrai du journal.

Dès ses premières chansons au début des années 60, il exprime sa "nature rebelle" quitte à s’attirer les foudres d’une censure plus ou moins tacite.

Son étiquette communiste dérange : en 1965, "Potemkine" est privée d’antenne et en 1966 il est interdit de petit écran en raison de sa candidature sur la liste PCF aux élections municipales d’Antraigues (Ardèche).

Ma France, cette chanson dans laquelle il s’attaque aux gouvernants ("Cet air de liberté dont vous usurpez aujourd’hui le prestige") est interdite d’antenne. Ferrat refuse de passer à la télé sans elle et patientera deux ans avant d’être à nouveau invité sur un plateau. En 1971, Yves Mourousi rompt la censure en diffusant un extrait de la chanson.

Jean Ferrat avait fait de cette censure un sujet de chanson ironique : "Quand on n’interdira plus mes chansons, je serai bon à jeter sous les ponts…".

Son attachement politique, Jean Ferrat le date de son enfance, lorsqu’un militant communiste lui sauve la vie pendant l’Occupation, une période qui lui a ravi à l’âge de 11 ans son père Mnacha Tenenbaum, juif émigré de Russie en 1905 et mort en déportation.

"On ne guérit pas de son enfance", confiera-t-il plus tard. De même, il ne reniera jamais son admiration pour certains des combats du communisme, comme la lutte contre le nazisme, le colonialisme et l’argent roi.

En 1967 celui qui n’a jamais chanté dans les pays de l’Est est invité à Cuba. Il en revient avec la chanson "Cuba si", où il déclare que l’on y vit "pauvre" mais "libre".

Au Bataclan, présent par un message

En janvier dernier, affaibli, il n’avait pu être au rendez-vous de soutien à l’Humanité, mais Francesca Solleville qui interprète Ma France, lit un mot d’amitié de Jean Ferrat à l’Huma, « mon journal, mon quotidien »

Sans jamais avoir pris la carte du parti, Jean Ferrat sera conseiller municipal (1970-1983) à la mairie communiste d’Antraigues, soutiendra la candidature de Georges Marchais pour la présidentielle de 1981, et sera inscrit sur la liste communiste aux européennes de 1999.

"Je n’ai jamais été un béni-oui-oui" du parti communiste, tenait-il à préciser : "Je n’ai pas de fil à la patte/je ne viens pas d’une écurie", affirme-t-il dans sa chanson "Je ne suis qu’un cri".

Et de rappeler qu’il a dénoncé l’invasion russe de la Tchécoslovaquie en 1968 et conspué en 1980 "les staliniens zélés" de "Prague à Budapest" qui "nous ont fait avaler des couleuvres", dans la chanson "Bilan", une réponse au "bilan globalement positif" dressé alors par le PCF à propos des pays de l’est.

Révolté et rêveur, l’homme à la crinière blanche et aux moustaches généreuses s’était fait, peu à peu, de plus en plus rare. Il n’a jamais tellement aimé la scène, "trop dure physiquement". Il la quitte en 1972 après le Palais des sports, puis fuit volontairement la télévision, cette "machine à vendre".

Son havre de paix s’appelle Antraigues, petit village ardéchois immortalisé par un de ses plus grands succès ("La Montagne"), où il s’installe en 1973 avec sa femme, la chanteuse Christine Sèvre, décédée en 1981.


Jean Ferrat sort peu de sa tanière mais chaque apparition, chaque nouvel album est un événement médiatique, et souvent l’occasion d’un nouveau "coup de gueule" : contre la grande industrie du disque et de la communication qui condamne le pluralisme et la liberté, contre le PAF qu’il juge "obscène", contre le nucléaire ou contre la condamnation du contestataire José Bové qu’il soutient en 2007 comme candidat "antilibéral" à l’élection présidentielle. Récemment, il a soutenu le Front de Gauche dans la campagne des élections régionales.

Tantôt engagé, tantôt poète émerveillé, le chanteur alterne tendresse et colère.

Il met en musique la poésie "jaillissante" de Louis Aragon, dont certains textes sont maintenant indissociables de la voix chaude et caressante de Ferrat

("Que serais-je sans toi", ou "Aimer à perdre la raison").

Ermite bucolique aux prises avec l’humanité, il aurait voulu "être le cri de la mésange/n’être qu’un simple gazouillis", mais la condition humaine aura fait de lui "le cri qu’on abrège, la détresse infinie".

Publié dans Société Politique

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