2012 : audace ou prudence, la gauche devra trancher

Publié le par jack palmer



Face à Face : Marie-George Buffet/Jean-Marie Le Guen

la diversité à gauche est-elle un risque ou une chance pour la présidentielle ?
À quinze mois de la présidentielle, Marie-George Buffet, députée (PCF), initiatrice du Front de gauche, et Jean-Marie Le Guen, député (PS), proche de Dominique Strauss-Kahn, confrontent leurs opinions sur les conditions à réunir pour une véritable alternative de gauche à Nicolas Sarkozy en 2012.

À l’élection présidentielle de 2012, la présence de plusieurs candidats à gauche fait-elle courir le risque, comme certains l’affirment, d’un nouveau 21 avril, ou est-ce au contraire une des conditions pour que la gauche gagne ?

Jean-Marie Le Guen. La gauche doit prendre acte de cette pluralité. Notre histoire commune est marquée par le refus de la reconnaître et, avec elle, les apports de chacune des composantes. La gauche se construit, certes avec des réalités sociales, mais dans le combat des idées. Il faut reconnaître sa diversité et souhaiter son unité. C’est un élément fondamental en vue de la future élection présidentielle. Les courants socialiste et communiste au XXe siècle ont eu la tentation de s’exclure l’un, l’autre du champ de la gauche. Il faut écarter ce refus du pluralisme et de l’unité.

Marie-George Buffet. Ce n’est pas qu’une question historique. C’est aussi une vision différente des changements nécessaires. On le voit, par exemple, au plan européen entre l’approche des forces sociales-démocrates et celle de la gauche de transformation sociale. Quand le 21 avril 2002 est évoqué, l’accent est mis sur la dispersion des candidatures à gauche. Mais le score de Lionel Jospin marque aussi la déception de l’électorat vis-à-vis du gouvernement de gauche sortant. C’était un vote sanction. Aujourd’hui, ce qui manque à la gauche, c’est une confrontation politique avec les citoyens sur l’alternative. L’objectif du Front de gauche est de répondre à cette double exigence de rassemblement et de construction des propositions.

Évoquer le risque d’un 21 avril 2002, n’est-ce pas une manière d’éluder ce débat à gauche et d’imposer une candidature à tous ?

Jean-Marie Le Guen. Le 21 avril a été la défaite de toute la gauche. Ceux qui ont payé la défaite en 2002 sont les gens pour lesquels on se bat. On peut dire que les socialistes n’ont pas été à la hauteur mais les autres candidats de gauche n’ont pas été capables de cristalliser les électeurs autour d’eux. Aujourd’hui je ne suis pas sûre, quels que soient la colère et les désirs de changement, que la gauche soit majoritaire dans le pays. Il y a un rejet de Sarkozy. Mais la dynamique sociale politique n’est pas aussi forte qu’on le souhaiterait. Par ailleurs, il y a une vraie réalité, celle d’un vote Front national qui participe des conditions du combat politique. Il y a des diversités d’approche sur le possible à gauche avec la gauche de la gauche, le problème c’est de savoir si, à partir de là, on tombe dans nos errements passés qui font de nos voisins de gauche l’ennemi, ou si, chacun portant ses propres orientations, nous demandons aux électeurs de trancher par leurs votes.

 En quoi l’existence de cette diversité pourrait être utile au rassemblement de la gauche pour battre Nicolas Sarkozy ?

Marie-George Buffet. Il y a un rejet de Sarkozy et de ses attaques contre les droits sociaux et démocratiques, et de cette complicité assumée, presque vulgaire, entre le pouvoir et l’argent. Pour gagner, la gauche doit redonner l’espoir à ceux qui doutent de l’utilité de voter ou qui, même, sont tentés par les votes extrêmes, en portant des propositions s’attaquant à la crise en France et en Europe. Quelques exemples : maîtriser les crédits pour favoriser l’emploi, donner un rôle nouveau à la Banque centrale européenne, aller vers une nouvelle République en France… Nous avons quinze mois pour débattre avec les Français. Le Front de gauche, ce n’est pas la « gauche de la gauche » ou une « autre gauche ». Je l’ai initié pour ouvrir un chemin ouvert à toutes les forces de gauche et aux citoyens, pour construire une alternative. Débattons, et les gens verront du neuf à gauche, feront leur choix au premier tour et, en confiance au deuxième tour, se rassembleront pour battre la droite.

Jean-Marie Le Guen. Il n’y aura pas de candidat commun. C’est une réalité qui peut peut-être être utile pour toute la gauche. À l’heure où le pouvoir tente de démobiliser les gens les plus précaires, il est important qu’un courant, le nôtre, mais aussi le vôtre, relève ce gant pour leur montrer qu’il y a de l’espoir. Il y a un bon usage de la diversité de la gauche. Cependant, il faut savoir à la fin si l’union, qui doit rester notre étoile polaire, est l’aboutissement. Par ailleurs, faisons attention à ce que certaines orientations politiques, qui ont déjà traversé le mouvement ouvrier, comme le populisme, ne réapparaissent pas. Cela conduit à l’échec.

 Marie-George Buffet. Mon but n’est pas d’« exprimer la diversité » à gauche. Avec le Front de gauche, il est de porter des propositions pour dépasser les logiques libérales. En 2005, nous n’étions pas d’accord sur le traité constitutionnel européen. Nous avons mis les enjeux sur la place publique et l’électorat a tranché. Le « non » a été majoritaire, y compris dans l’électorat PS. C’est cela que je veux faire avec le Front de gauche. Nous ne nous adressons pas seulement aux plus précaires mais à l’ensemble de la population. Enfin, je ne confonds pas le populisme et la radicalité. Face à la politique du pouvoir, il y a besoin de radicalité pour une vraie rupture. Ça, ce n’est pas du populisme, c’est une gauche qui assume ses responsabilités.

Des critiques s’expriment vis-à-vis des plans imposés par le FMI aux peuples grec et portugais, et de son directeur général, Dominique Strauss-Kahn, comme sur sa position sur le report de l’âge de la retraite…

Jean-Marie Le Guen. Je suis disponible quand vous voulez pour un débat sur Dominique Strauss-Kahn et le FMI. Cependant, deux mots sur le sujet : que les peuples concernés en Europe, les Grecs, les Irlandais, protestent, c’est normal. Mais est-ce que le FMI prône des politiques d’austérité ? La réponse est non. Pour le FMI, le problème en Europe, c’est la croissance et l’emploi. Ce sont les critères avancés par Dominique Strauss-Kahn. Avant lui, ce n’était pas la même politique et entre-temps, il y a eu la crise. Au-delà, est-ce que la position de Dominique Strauss-Kahn ou du PS est à prendre ou à laisser ? Absolument pas.

Mais n’y a-t-il pas 
des contradictions fortes 
qui subsistent avec d’autres forces à gauche ?

Jean-Marie Le Guen. Oui. Prenons les retraites. Les textes du PS sont clairs sur l’allongement de la durée de cotisation. Même si certains ont voulu chanter la chanson de manière différente, la position du PS est qu’il n’y aura pas de retour à la retraite à soixante ans. Le Front de gauche défend une position différente. Je peux le comprendre.

Mais il n’y a pas que le Front de gauche, le mouvement social aussi réclame le retour 
à la retraite à soixante ans…

Jean-Marie Le Guen. Ce n’est pas ce que j’ai entendu du mouvement social. Ainsi, à la fin du mouvement, Annick Coupé, porte-parole de Solidaires, ne disait pas « retour à soixante ans » mais parlait de pénibilité, de longue carrière. Le mouvement syndical a porté une vision de la réforme plus sociale, plus solidaire. C’est ce mouvement-là qui a gagné, pas la radicalité qui luttait pour le maintien du régime de retraites précédent. Et quand je parle de populisme, je ne l’assimile pas à la radicalité. Le mot « populisme » a été revendiqué par une des composantes du Front de gauche : Jean-Luc Mélenchon. Il y a quelques années, sa radicalité croisant le rouge et le vert était positive. Depuis qu’il avance sur une orientation différente et problématique, cela ne lui profite pas dans les sondages, au contraire. J’admets la radicalité, personnellement je souhaite la porter, mais je ne confonds pas radicalité et populisme.

Marie-George Buffet. Le débat sur Dominique Strauss-Kahn ne m’intéresse pas trop. Je préfère mener le débat sur les propositions du PS. Par ailleurs, on peut toujours avoir de la sympathie avec les peuples qui protestent. La question n’est pas là, mais dans les réponses apportées par les gouvernements de ces pays. Or, celles-ci font mal aux peuples et sont inefficaces. D’autres solutions sont nécessaires. C’est le débat que l’on doit avoir. Enfin, je n’ai pas entendu la même chose du mouvement social sur les retraites. Il portait le refus que soit remise en cause la notion même de droits, que l’on veut nous faire considérer comme dépassée. Tout au long du mouvement, j’ai senti une progression. Au début, les arguments sur l’allongement de la vie, les caisses vides… troublaient. Au fil du temps, l’idée que d’autres financements étaient possibles pour garantir la retraite à soixante ans sans allongement des annuités de cotisation a progressé. La proposition de loi des députés PCF et Parti de gauche en ce sens a joué un grand rôle. Cette question des retraites est un bon exemple du débat nécessaire à gauche sur l’alternative de changement. La gauche va-t-elle abroger la loi sur les soixante-deux ans et va-t-elle mettre en œuvre des mesures pour un autre financement comme nous le proposons ? Quelles avancées nouvelles en termes de démocratie sociale quand, aujourd’hui, le gouvernement refuse toute négociation ? Quels droits nouveaux pour les salariés, via les syndicats, dans les entreprises ? Si le Front de gauche permet la confrontation et la clarification à gauche sur les solutions pour résoudre les problèmes des gens, alors des hommes et des femmes de gauche se mobiliseront pour intervenir, faire leur choix en toute clarté et voteront.

Le risque, pour la gauche, n’est-il pas celui de ne pas rompre véritablement 
avec les logiques libérales 
et de décevoir ?

Jean-Marie Le Guen. Je ne crois pas. Nous connaissons un cycle libéral depuis trente ans, auquel s’ajoutent des problématiques nouvelles comme l’écologie, la démographie. Il nous faut donc articuler une gestion précautionneuse sur le plan économique et social, psychologique même, pour apporter de la protection aux Français et des éléments de radicalité. Je ne crois pas en l’évocation d’une radicalité, surtout quand elle ne serait pas porteuse d’un monde nouveau mais d’un retour en arrière vers les Trente Glorieuses. La tentation de la nostalgie existe dans une partie de la gauche. C’est dans la capacité à mêler précaution et radicalité que la gauche peut gagner. Ne racontons pas d’histoires, la gauche, ce n’est pas le Père Noël.

Marie-George Buffet. La question n’est pas d’être nostalgique ou non. Elle est de prendre en compte la réalité telle qu’elle est aujourd’hui. Pour moi, les réponses passent par un élargissement des droits, à l’éducation, à la formation, à la protection sociale, à l’emploi, etc. Nous avons besoin en France et en Europe de nouveaux services publics rénovés et élargis à de nouveaux secteurs d’intérêt général. Il faut poser fortement la question d’une autre utilisation des richesses produites par le travail. Ce n’est pas un regard vers le passé, c’est un regard audacieux pour répondre aux besoins. C’est un changement fondamental. Vous dites que ce sera difficile. Évidemment. Face au patronat et aux institutions libérales européennes, nous devrons créer les conditions d’une intervention populaire permanente pour faire avancer les réformes nécessaires.

Entretien réalisé 
par Sébastien Crépel et Max Staat

Publié dans Présidentielle 2012

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